Le 8 avril dernier, le service de presse du Vatican publiait la déclaration Dignitas infinita sur la dignité humaine. Elle n’est pas signée par le pape François, mais par le cardinal Victor Manuel Fernandez, préfet du dicastère pour la doctrine de la foi. Cependant, comme l’annonce la présentation de la déclaration, son élaboration a duré cinq ans, et sa version finale, dûment relue et approuvée par le pape, s’inscrit « dans la ligne de l’encyclique Fratelli tutti » du 3 octobre 2020, encyclique qui avait choqué les catholiques occidentaux un tant soit peu patriotes par son cosmopolitisme radical. Il appartient à d'autres de produire un commentaire théologique de cette nouvelle déclaration, mais elle nous intéresse pour sa valeur idéologique et métapolitique.
La plupart des commentateurs catholiques réactionnaires ou traditionalistes, soucieux principalement de l’orthodoxie du texte et de ses implications spirituelles, n’ont pas voulu paraître trop pointilleux et se sont abstenus de relever certains des passages les plus explicitement politiques du document. Les défenseurs du pape, quant à eux, se sont félicités des prises de position conservatrices qu’il comporte également et qui ont certes provoqué l’ire de la gauche antichrétienne.
La dignité humaine contre le nihilisme cosmopolite
Il y a de quoi se réjouir, en effet, à la lecture de la fin du texte, qui apparaît comme une défense des principes moraux intangibles de l’Église face aux aberrations cosmopolites nihilistes et contre-nature. Le paragraphe 47 condamne fermement l’avortement, comme l’ont toujours fait les papes, y compris récents ; les paragraphes 48 à 50 condamnent la pratique des mères porteuses ; le 51 et le 52 l’euthanasie ; les paragraphes 53 et 54 prennent la défense des infirmes et des débiles mentaux tandis que la « théorie du genre » puis le « changement de sexe » sont longuement attaqués dans les paragraphes 55 à 60 et que le 61 s’attaque à la pornographie.
Quoique ces prises de positions soient classiques de la part du Vatican, elles sont ici défendues d’une façon nouvelle : sous l’angle de la « dignité humaine » infinie, qui donne son nom au document. Le concept est expliqué dans l’introduction et la première partie, qui couvrent les 16 premiers paragraphes du document, et qui mêlent considérations historiques, philosophiques et sémantiques. Quoiqu’il considère que personne n’a mieux appréhendé le sujet de la dignité humaine que l’Église, le rédacteur reconnaît qu’il a fallu attendre l’histoire récente pour qu’elle le développe, lui donne son sens moderne et lui accorde une place de premier plan. En effet, Léon XIII et Pie IX y faisaient référence dans leurs encycliques sur la « doctrine sociale de l’Église », mais c’est le IIe concile œcuménique du Vatican qui, avec la déclaration Dignitatis Humanae et la constitution pastorale Gaudium et spes, sert de référence à ce nouveau document.
La notion de dignité humaine est jugée plus à même que les catégories habituelles de péché et d’ordre naturel de défendre efficacement la vie innocente et l’intégrité du corps dans le monde contemporain. L’avortement, par exemple, n’est pas qualifié de péché, mais il est dit que « cette défense de la vie à naître est intimement liée à la défense de tous les droits humains ». Sur le plan théologique, les paragraphes 18 à 21 retracent l’histoire de l’homme vis-à-vis de son Créateur, toujours plus proche de lui, sa dignité infinie se révélant en trois étapes : dans sa création à l’image de Dieu ; dans l’Incarnation qui « confirme » la ressemblance entre le Créateur et la créature, selon le mot de saint Irénée ; dans la Rédemption qui découvre la « vocation de l’homme à communier avec Dieu », d’après la constitution pastorale Gaudium et spes. Ce récit, où la Chute n’est pas mentionnée, offre une vision optimiste d’une dignité toujours plus éclatante, qui n’est pas détruite par le péché originel, rétablie par le Christ et perdue par le péché mortel, comme le veut la théologie traditionnelle, mais « inaliénable », « intangible », « inaltérable », comme le répète inlassablement ce texte. À cet effet, le paragraphe 7 distingue bien la « dignité morale », qui correspond à l’ancienne conception de la dignité, que l’Église moderne ne renie pas, mais dont elle se désintéresse, de la « dignité ontologique », dont il est question dans tout le document.
En vérité, cette « dignité ontologique » a beaucoup à voir avec les « droits de l’homme » tels que les conçoit la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Vatican l’assume d’ailleurs pleinement, puisqu’il présente d’emblée Dignitas infinita comme une commémoration du 75e anniversaire de ladite déclaration, quoiqu’il estime que c’est l’Organisation des Nations unies qui s’est inspirée de l’Église, et non l’inverse. Quoi qu’il en soit, le document reconnaît pleinement son « autorité » — toute symbolique en vérité, puisque la DUDH, simple résolution de l'Assemblée générale des Nations unies, n'est pas juridiquement contraignante, contrairement à la DDHC en France aujourd'hui ou aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies que tous les États membres de l'ONU sont tenus de mettre en œuvre —, et s’en félicite sans réserve. Il cite François, citant lui-même Jean-Paul II : « Dans la culture moderne, la référence la plus proche au principe de la dignité inaliénable de la personne est la Déclaration universelle des droits de l’homme, que saint Jean-Paul II a définie comme une “pierre milliaire placée sur le chemin long et difficile du genre humain” et comme l’“une des plus hautes expressions de la conscience humaine”. » On a l’impression que l’Église, consciente de son rôle de moins en moins grand dans le monde moderne, n’aspire plus qu’à trouver sa place dans la superstructure mondiale, sous la houlette de l’ONU, bien mieux assise désormais. En tout état de cause, il est difficile de croire qu’elle défend ici ses propres idées, les « valeurs évangéliques » (§4) défendues par l’Église « depuis le début de sa mission » (§3) et que la « réflexion chrétienne » du XXe siècle en serait simplement « venue à souligner davantage » (§13). Quand le paragraphe 7 parle d’un « consensus assez général sur l'importance et la portée normative de la dignité et de la valeur unique et transcendante de tout être humain », il s’agit des idées de l’Occident moderne déchristianisé, non d’idées chrétiennes. De même, quand il est question, dans le préambule du texte, des « derniers développements du thème dans la sphère académique », on se figure une Église à la remorque de la philosophie éthique laïque, et non plus guidée par la Révélation.
Certains veulent croire que cette rhétorique aura un effet salvateur en réhabilitant aux yeux du monde la défense de ces nobles causes. Le discours traditionnel sur l’ordre naturel étant devenu inaudible depuis bien longtemps, le Vatican espère toucher davantage nos contemporains en faisant appel à une référence plus consensuelle : les droits de l’homme. En se lamentant à la fois sur les minorités persécutées et sur les enfants avortés, il substituera une image de défenseur des opprimés à celle de réactionnaire autoritaire. S’agit-il là d’une pure stratégie rhétorique adoptée délibérément ? Probablement pas, mais, si c’était le cas, elle serait discutable, non seulement parce que son efficacité est douteuse (la publication de Dignitas infinita n’a pas manqué d’exciter la haine des cosmopolites, comme toute déclaration hostile à l’avortement), mais surtout pour ce qu’elle implique.
La dignité humaine, faux-nez des idées de gauche
En effet, si la quatrième partie du document, qui se veut un catalogue des violations de la dignité humaine, finit très bien, comme nous l’avons dit, elle commence très mal. Il y a d’abord le paragraphe 34, où la peine de mort est condamnée absolument, sans la moindre nuance ou exception, à rebours de toute la tradition catholique qui l’acceptait comme une peine juste. Le sujet a déjà été largement débattu quand, en 2017, le pape François a décidé de modifier le Catéchisme de l’Église Catholique pour y insérer cette condamnation nouvelle. Rappelons tout de même qu’il est impossible, sur ce point, de défendre l’idée d’un simple « développement » ou « affinement » de la doctrine de l’Église : la rupture avec l’enseignement traditionnel est manifeste et ne porte pas, contrairement aux apparences, sur le domaine juridique, mais bien sur la morale, faisant rétrospectivement de tous les souverains, magistrats et bourreaux catholiques de l’histoire des adversaires de l’Évangile.
Les paragraphes 36 et 37, quant à eux, adoptent purement et simplement l’idée socialiste que le problème de la pauvreté est un problème de répartition des richesses, en citant Jean-Paul II, qui sur cette question ne valait pas mieux que François. Le paragraphe 36 rejette explicitement la distinction entre les pays riches et les pays pauvres, arguant que le « scandale des disparités criantes » existe dans les uns comme dans les autres, comme s’il valait mieux vivre dans une égalité misérable que dans la prospérité inégalitaire. Le paragraphe 37, en se référant à Fratelli Tutti, refuse de se féliciter du recul de la pauvreté lié au progrès matériel et va jusqu’à sous-entendre, en faisant du chômage une forme de pauvreté insupportable, contraire à la dignité humaine, que le chef d’entreprise qui licencie pour des raisons économiques est semblable à un assassin motivé par l’appât du gain.
Hélas, le collectivisme est un écueil ancien et courant chez les catholiques qui se sont laissés séduire par une vision dévoyée de la charité chrétienne. L’introduction des idées cosmopolites dans l’Église, elle, est plus récente. Le paragraphe 40, reprenant les idées de Fratelli Tutti, ne se contente pas d’appeler à l’ouverture des frontières pour accueillir tous les immigrés : il reproche aux pays qui ont commis l’erreur de le faire de ne pas encore traiter le premier venu comme un citoyen à part entière. Au moins, ici, le sujet n’occupe qu’un paragraphe, alors que le pape consacrait 200 pages à sermonner les Occidentaux dans son encyclique indigeste.
Plus ridicules encore sont les paragraphes 44 et 45 qui commencent par l’intertitre « Les violences contre les femmes ». Voilà un fléau contre lequel tous les catholiques s’accordent, et ces paragraphes ne devraient pas soulever trop de protestations. Mais voyons un peu de quelles « violences » il est ici question. Dès la deuxième phrase, le texte déplace habilement le sujet : « Alors que l'égale dignité des femmes est reconnue en paroles, dans certains pays, les inégalités entre les femmes et les hommes sont très graves et même dans les pays les plus développés et les plus démocratiques, la réalité sociale concrète témoigne du fait que les femmes ne sont souvent pas reconnues comme ayant la même dignité que les hommes. » Il n’est plus question de violences, mais d’inégalités qui seraient, évidemment, inacceptables. On comprend bien à la lecture de cette phrase pourquoi la critique des violences véritables ne suffit pas : cela reviendrait à mettre en accusation les pays arriérés où elles sont bien plus répandues. Il vaut mieux s’attaquer à l’Occident, déjà passablement féministe, mais toujours pas assez, dans une logique qui rappelle « l’intersectionnalité » de « l’afroféminisme ». Mais de quelles inégalités est-il question ici, sous la plume d’un cardinal dont le féminisme ne peut être que très modéré, et qui proteste plus loin (§59) contre la théorie du genre qui, selon les mots du pape François lui-même (dans son exhortation apostolique Amoris laetitia du 19 mars 2016) « laisse envisager une société sans différence de sexe et sape la base anthropologique de la famille » ? On l’apprend dans le paragraphe suivant, par une citation de Jean-Paul II qui, là encore, contrairement à ce que croient les réactionnaires de la onzième heure, était aussi calamiteux que le pape actuel : « Il est urgent d'obtenir partout l'égalité effective des droits de la personne et donc la parité des salaires pour un travail égal, la protection des mères qui travaillent, un juste avancement dans la carrière, l'égalité des époux dans le droit de la famille, la reconnaissance de tout ce qui est lié aux droits et aux devoirs du citoyen dans un régime démocratique. » Et le rédacteur de Dignitas infinita de conclure : « Les inégalités dans ces domaines sont des formes de violence diverses. » Ainsi, non seulement le feu pape exigeait, reprenant au passage le bobard de la disparité de salaire à travail égal, que le moindre succès professionnel des femmes soit aboli (et comment ?), mais son successeur le considère aussi comme une « forme de violence », tordant le sens des mots comme le dernier des sophistes cosmopolites. Il ne reste plus rien de l’idée de complémentarité des sexes développée par Pie XII dans ses discours à de jeunes époux, pour ne rien dire des versets de saint Paul sur la soumission due par les femmes à leurs maris (Éphésiens 5:22-23).
Christianisme et cosmopolitisme
La succession de ces paragraphes cosmopolites puis conservateurs nous rappelle un spectacle dont nous avons l’habitude : celui des politiciens et commentateurs de centre-droit, traînant des pieds et râlant un peu devant les dernières innovations diaboliques des cosmopolites, mais finissant toujours, quelques années ou décennies plus tard, par les accepter, voire les défendre, las d’être haïs par la gauche. On aimerait croire que, contrairement à ces conservateurs mous, le Vatican défend des principes intangibles, fidèle à une tradition bimillénaire, et que son centrisme apparent n’est que le maintien du cap de l’Évangile dans un monde battu par des flots contraires. Après tout, comme nous l’avons déjà dit, les papes successifs tiennent bon sur le point le plus grave, à savoir l’avortement, depuis un demi-siècle, malgré la mauvaise réputation qu’ils en tirent auprès des cosmopolites. Hélas, l’évolution du discours romain sur d’autres sujets, comme la place des femmes, la peine de mort et l’homosexualité laisse présager le contraire. Comment croire en effet que les auteurs de cette déclaration sont conséquents quand ils déplorent dans le paragraphe 25 la « multiplication arbitraire de nouveaux droits » alors qu’eux-mêmes inventent le droit pour les femmes à gagner autant d’argent que les hommes et à occuper les mêmes postes ?
Plus profondément, cette bénédiction des idées cosmopolites par le Vatican, fût-ce avec quelques décennies de retard, s’accompagne d’une mauvaise lecture de l’histoire des idées. Le paragraphe 32 mérite, à ce titre, d’être cité in extenso :
En même temps, il est évident que l'histoire humaine montre un progrès dans la compréhension de la dignité et de la liberté des personnes, non sans ombres et dangers d'involution. En témoigne le fait qu'il existe une aspiration croissante — également sous l'influence chrétienne, qui continue à être un ferment même dans des sociétés de plus en plus sécularisées — à éradiquer le racisme, l'esclavage et la marginalisation des femmes, des enfants, des malades et des handicapés. Mais ce chemin ardu est loin d'être terminé.
Rome, ayant perdue son influence dans l’Occident moderne, se console en trouvant une origine chrétienne aux idées dominantes des sociétés « sécularisées » ou, pour le dire sans euphémisme, apostates. En somme, on reprend à son compte l’idée fameuse de G. K. Chesterton sur le monde moderne « plein d'anciennes vertus chrétiennes devenues folles », mais pour s’en féliciter, plutôt que de s’en lamenter. Pire encore, ce paragraphe donne raison aux idéologues de la prétendue Nouvelle Droite (P. N. D.) qui, à la suite de Frédéric Nietzsche, attribuent les anti-valeurs de l’Occident décadent à l’influence chrétienne. Rappelons au contraire que le cosmopolitisme (et ses manifestations que sont la volonté de mélanger les races, la haine de la grandeur et de la beauté, le nihilisme, le rejet des traditions) est plus vieux que le christianisme, puisqu’il a été inventé par Diogène le cynique au IVe siècle avant Jésus-Christ, qu’il a été très en vogue dans la Rome pré-chrétienne, et que c’est bien le christianisme qui, par sa morale exigeante, sa théologie du péché originel, son espérance d’un salut hors de ce monde, a marginalisé les idées cosmopolites, tributaires de l’utopie égalitaire, pendant des siècles, permettant à la sublime civilisation occidentale d’éclore. Le paradoxe sur lequel butent à la fois les idéologues de la P. N. D. et le pape, à savoir que ces prétendues idées chrétiennes triomphent dans un monde déchristianisé, a une solution simple : elles ne sont aucunement chrétiennes.
Maurice Seclin
en effet, le socialo-cosmopolitisme est opposé au christianisme. Mais pour moi, l'Eglise devrait plutôt se retrancher dans un "splendide isolement" à ce sujet (ne pas chercher à influencer la société, et ne pas se faire influencer en retour). Non pas pour faire une secte, mais pour axer sa pastorale sur la Foi et non sur des questions de morale sociale. La morale sociale est la conséquence et non la cause de la Foi. Si les âmes se convertissent, alors la morale sociale s'épurera. Plus d'un grand Chrétien a longtemps cheminé dans le péché et la souillure avant que de trouver la lumière. Dans le contexte historique actuel, ne vaut-il pas mieux prêcher la Foi que de s'attacher à des points…
Je esperé que les catholiques laisser de croie dans l'infabilite du magistère, comme Adrien Bauzit fait dans une transmission du Radio Athena, pars que se est a falacie du appellation a l'autorite et demonstrablement faux
S’il vous plaît, arrêtez de l’appeler “pape François”. Cet homme n’est pas pape. Le dernier véritable pape était Pie 12. Un pape par définition ne peut pas être hérétique. Les encycliques sont infaillibles et 2 papes ne peuvent pas se contredire. Le Vatican est contrôlé par une secte moderniste.